Cette anecdote se déroule en 1978. J’assurais un accompagnement de desserte sur la section de ligne à voie unique entre Rodez et Carmaux.
Après avoir effectué la manœuvre à Luc-Primaube, je montais sur la 66000 rejoindre le mécanicien et l’agent de manœuvre qui continuaient sur Carmaux pour desservir les gares de ce tronçon ainsi que les embranchements particuliers de pleine voie. Entre Luc-Primaube et Carcenac, gare où je descendais pour continuer ma journée en tant qu’agent circulation, on effectuait la manœuvre à l’EP de la RAGT.
Le train s’arrête avant l’aiguille, je descends muni de la clé « maîtresse » et m’approche de l’aiguille. L’agent de manœuvre procède à la coupe des wagons à livrer et je fais signe au mécanicien de « tirez ». Une fois franchi l’aiguille, je déverrouille grâce à la clé maîtresse, je récupère sur le levier du verrou la clé de l’aiguille et je la renverse. Au signal « refoulez » le mécanicien met en place les wagons puis revient sur la voie principale.
Je redresse le levier de l’aiguille pour la remettre en position normale et c’est à ce moment là qu’en fin de course, le levier se casse et je me retrouve avec le levier de type I dans les mains ! Examen de l’aiguille, elle semble coller. Je récupère la clé du verrou sur le levier cassé et je l’introduis dans la serrure du levier du verrou. Je verrouille l’aiguille, récupère la clé « maîtresse » et fait procéder au raccordement de la machine avec la rame laissée sur voie principale.
Arrivée à Carcenac, j’avise le chef de gare du dérangement de l’aiguille, prend le service et applique l’article 32 de la CG S6An° 1 (dérangement d’aiguille ou de ses organes de commande) qui prescrit d’arrêter et retenir les trains. Le chef de gare me souhaite bonne chance et rejoint ses appartements situés au dessus de la gare. J’avise le service d’astreinte de l’équipement compétent qui ne pourra intervenir que dans la nuit.
Même si mon examen de l’aiguille avait montré qu’elle collait, je ne me voyais pas autoriser le passage des trains franchissant en pointe et en pleine vitesse cette aiguille. L’agent circulation de l’autre gare était du même avis.
Alors que faire ? Ne pas cesser le service et rester toute la nuit (la journée avait commencé à 8h30 du matin) jusqu’à la fin de la réparation ?
J’appelle sans grande conviction le cadre transport d’astreinte et lui explique la situation. Il me dit qu’il va regarder la consigne rose et qu’il va me rappeler. Alors que je pensais que j’allais attendre longtemps sa réponse, quelques instants après il me rappelle et me dit de prendre le carnet de dépêches. « Monsieur X attaché 2 à l’AE d’Albi autorise monsieur y (moi) à cesser le service de la circulation malgré le dérangement de l’aiguille n°. L’aiguille étant normalement verrouillée, les trains peuvent franchir en vitesse cet appareil de voie sans remise d’ordre écrit »
Avec cette dépêche, il me déchargeait de toutes responsabilités et assumait pleinement le risque. Je pense que ce comportement de dirigeant est suffisamment rare pour être signalé. Je doute qu’aujourd’hui, avec le fameux principe de précaution, peu de responsables seraient prêt à mettre leurs responsabilités en jeu.
Rétrospectivement, je me dis qu’il n’y avait pas de risque puisque l’aiguille était verrouillée mais dans la tête d’un jeune AMV d’une vingtaine d’années les choses ne sont pas aussi claires.